Philippe Claudel

Celui qui va venir rencontrer les étudiants, pour qui la langue française est une autre aventure dans la langue et dans la pensée pour appréhender le monde, est un écrivain généreux et lucide. 

Par son œuvre littéraire comme par son travail de réalisateur, il nous invite à embrasser tout ce qui agite et bouleverse nos sociétés. Écrivons ce mot au pluriel car son intérêt pour ce qui fait bouger les plaques tectoniques est grand et dépasse largement les cadres des frontières, qu’elles soient réelles ou imaginaires. 
De Meuse l’oubli, son premier roman chez Balland en 1999, à Crépuscule, paru chez Stock en 2022, il ouvre tous les horizons comme autant de pages de livres d’une bibliothèque phénoménale. Les formes aussi l’intéressent. Il excelle dans la nouvelle, brosse un portrait parfait d’un peintre de son « territoire », Friant dans « Au revoir Monsieur Friant » (Phileas Fog, 2001). Car il n’a de cesse de se pencher sur l’art, les arts, avec un regard aiguisé, amoureux. On peut encore voir son approche sensible et ferme dans une forme précise autant que délicate comme dans Trois petites histoires de jouets, Besançon, Virgile, coll. « Suite de sites », 2004, que l’on peut lire aujourd’hui en édition de poche (Le Livre de Poche, 2010). Rien ne semble échapper à sa curiosité, à son travail attentif de lecture de l’humanité. Soucieux de considérer les écritures contemporaines, son génial désir de rencontrer l’altérité et le neuf s’exerce au sein même de l’Académie Goncourt où il siège depuis 2011. 

Philippe Claudel incarne quelque chose de la littérature en l’exprimant par toutes les peaux qu’elle revêt. C’est viscéral. S’il existe vraiment des hommes livres, il en est. 

(Sylvie de Gouttebaron, Maison des Écrivains et de la Littérature)

Biographie et œuvres
Philippe Claudel

Né le 2 février 1962 à Dombasle-sur-Meurthe, Philippe Claudel est un écrivain, réalisateur et professeur français, dont la carrière artistique s’étend de la littérature au cinéma. Dès son enfance il a développé une profonde affection pour sa terre lorraine, un lien qui demeure inaltéré.

Après des hésitations initiales, Claudel s’engage dans des études universitaires, couronnées par l’obtention de l’agrégation de lettres modernes. Sa thèse, dédiée à André Hardellet, illustre son dévouement intellectuel. Il partage ses connaissances à l’Université de Lorraine, notamment à l’Institut européen du cinéma et de l’audiovisuel. Parallèlement, il consacre douze années à l’enseignement en milieu carcéral, expérience qui transparaît dans son œuvre Le Bruit des trousseaux (Stock, 2001), témoignant de sa volonté d’apporter l’éducation dans des contextes parfois négligés, tels que les prisons.


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Le bruit des trousseaux est aussi un téléfilm autobiographique de Philippe Claudel, réalisé par l’auteur lui-même ; il a été diffusé sur France 2 (2021), offrant un aperçu personnel et poignant de cette expérience singulière.

En plus de son engagement envers l’éducation, Claudel consacre son temps aux adolescents handicapés. C’est au cours de ces activités qu’il croise le chemin de Jean-Claude Pirotte, une rencontre décisive qui donne naissance à son premier roman, Meuse l’oubli (Balland,1999). Ce moment marque le début d’une carrière littéraire prometteuse pour Claudel, soulignant son talent émergent et son engagement envers des sujets sociaux et humains complexes.

Pendant le tournage, Philippe Claudel (à droite) donne quelques indications à Cyril Descours. © (Photo Raoul Gilibert)
https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/cyril-descours-en-prison-on-affronte-la-vraie-solitude

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L’année 2000 consolide son succès avec la parution de Quelques-uns des cent regrets (Balland), explorant les thèmes du deuil et du détachement. Toutefois, c’est en 2003 que Philippe Claudel accède à la renommée avec Les Âmes grises (Stock), couronné du prix Renaudot. Ce roman, porté à l’écran en 2004, est ancré dans une petite ville non loin du front de la Première Guerre mondiale et explore la noirceur de l’âme humaine à travers un meurtre d’enfant et une galerie de personnages poignants.

https://www.editions-stock.fr/livre/les-ames-grises-9782234056039

Le Rapport de Brodeck, publié en 2007, représente un sommet de l’œuvre de Philippe Claudel. Il se distingue par l’utilisation d’une trame romanesque complexe qui explore les méandres de l’histoire, en mettant particulièrement en lumière l’expérience des camps et la capacité de l’homme à renoncer à son humanité. Le roman a été honoré en remportant le prestigieux Goncourt des lycéens.

https://www.editions-stock.fr/livre/le-rapport-de-brodeck-9782234057739/

https://www.dargaud.com/bd/le-rapport-de-brodeck

En 2015, une nouvelle dimension est ajoutée à cette œuvre majeure avec le roman graphique de Manu Larcenet. Cette adaptation remarquable du roman éponyme élargit l’impact de l’histoire, présentant visuellement les thèmes profonds explorés par Claudel. Publié par l’éditeur Dargaud, ce roman graphique offre une perspective unique sur le chef-d’œuvre littéraire, fusionnant la puissance narrative de Claudel avec le talent graphique de Larcenet.

En 2010, L’Enquête (Stock) de Philippe Claudel présente un monde en déshérence, explorant l’incommunicabilité au sein d’une société en déclin, offrant une fable aussi drôle qu’angoissante. Le parcours littéraire de Claudel se poursuit avec des œuvres publiées chez Stock telles que Jean-Bark (2013), L’Arbre du pays Toraja (2016), Inhumaines : roman des mœurs contemporaines (2017), L’Archipel du Chien (2018), Compromis (2019), Crépuscule (2022) et des récits brefs publiés chez des éditeurs amis.

Parallèlement à sa carrière littéraire, Claudel s’investit dans le cinéma en tant que scénariste et réalisateur de longs métrages. En 2008, il réalise Il y a longtemps que je t’aime mettant en vedette Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein. La fiction remporte le César de la Meilleure première œuvre et le Bafta Awards du Meilleur film non-anglophone. Par la suite, il persiste dans son engagement cinématographique en exerçant les rôles de scénariste et de réalisateur pour plusieurs longs métrages, parmi lesquels figurent Tous les soleils (2010), Avant l’hiver (2013) ou Une enfance (2015).

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Nos textes sources

d’après Éditions Stock:
https://www.editions-stock.fr/livre/inhumaines-9782234073388/

Inhumaines, 2017
Descriptif:

Nous sommes devenus des monstres.
On pourrait s’en affliger.
Mieux vaut en rire.

d’après Éditions Stock:
https://www.editions-stock.fr/livre/larchipel-du-chien-9782234085954/

L’Archipel du Chien, 2018
Descriptif:

« Le dimanche qui suivit, différents signes annoncèrent que quelque chose allait se produire.
Ce fut déjà et cela dès l’aube une chaleur oppressante, sans brise aucune. L’air semblait s’être solidifié autour de l’île, dans une transparence compacte et gélatineuse qui déformait ça et là l’horizon quand il ne l’effaçait pas : l’île flottait au milieu de nulle part. Le Brau luisait de reflets de meringue. Les laves noires à nu en haut des vignes et des vergers frémissaient comme si soudain elles redevenaient liquides. Les maisons très vite se trouvèrent gorgées d’une haleine éreintante qui épuisa les corps comme les esprits. On ne pouvait y jouir d’aucune fraîcheur.
Puis il y eut une odeur, presque imperceptible au début, à propos de laquelle on aurait pu se dire qu’on l’avait rêvée, ou qu’elle émanait des êtres, de leur peau, de leur bouche, de leurs vêtements ou de leurs intérieurs. Mais d’heure en heure l’odeur s’affirma. Elle s’installa d’une façon discrète, pour tout dire clandestine. »

d’après Éditions Stock:
https://www.editions-stock.fr/livre/crepuscule-9782234094772/

Crépuscule, 2023
Descriptif:

Aux marches de l’Empire « à cent têtes et cent corps », sommeille une province minérale et nue où le froid, le givre, les bourrasques semblent ankyloser les habitants d’une bourgade qui ne signalait jusque-là ni notoriété historique, ni intérêt géographique, si ce n’est d’être placée à la frontière « d’un pays dont la bannière se frappait d’un croissant d’or », et dont la vitalité contraste avec l’épuisement ranci du village aux passions tristes.

Un jour, le curé est découvert mort. La tête fracassée par une pierre. De quelle nature est le crime ? Qui pouvait en vouloir à ce curé d’une terre où les chrétiens et les musulmans vivaient depuis toujours en bonne entente ? Que faire, qui accuser, et qui entraver dans son action si, à partir de ce meurtre, s’ordonne toute une géométrie implacable d’actes criminels et de cruautés entre voisins ? Il y a un heureux : le Policier, Nourio, car « c’était fabuleux pour lui d’avoir une pareille affaire, dans ce lieu abandonné de toute fantaisie, de tout grain de sable, roulé dans l’ordinaire des jours ». Le voilà lancé dans d’inutiles recherches. À quoi sert de s’opposer au cours impétueux des choses ?

Dans ce vieux monde de l’Empire qui s’affaisse, « dans un sommeil épais, s’enroulait dans sa léthargie comme un escargot fainéant bâille dans sa coquille », il y a tous les personnages, en chairs et en vices, qui conviennent au déroulement de la tragédie : chacun joue à merveille sa partition. Nourio, le Policier au teint olivâtre et aux pulsions incontrôlables. Baraj, l’Adjoint dont l’apparence de bête placide et musculeuse dissimule l’âme d’un enfant poète. Lémia, la fillette aux formes adolescentes dont les ombres et les pleins agacent les nerfs du Policier. Tant d’autres, et même les fantômes des temps passés, qui n’ont en commun, dans leur médiocrité âpre et satisfaite, dans le secret de leurs âmes, que d’agir en comparses du grand Effondrement de l’Empire. De suspens en rebondissements, l’intrigue haletante se double d’une grande réflexion sur nos errements contemporains, la volonté de quelques-uns de réécrire l’Histoire, la négation de certains crimes de masse et autres arrangements avec la réalité.